Droit d’auteur, droit(s) des auteur•es, droit au chômage…

Force est de constater que « les temps changent ». Le droit d’auteur, avancée majeure de ces deux derniers siècles pour les auteurs•es de toutes disciplines, « droit de l’homme » comme on le dit parfois, ne nous dispense pas de traiter la question des droits sociaux dont bénéficient – ou pas, ou trop mal – ces « travailleurs-premiers » des arts et de la culture, qui représentent presque 1 % de la population active de notre pays.

Les artistes-auteur•es occupent une place majeure dans la vie artistique, culturelle, intellectuelle. Ils subissent pourtant, avec encore plus de violence encore que les autres travailleurs, les effets dévastateurs de l’actuelle crise pandémique. Depuis quelques mois, notre commission culture s’est lancée dans une ambitieuse aventure : contribuer à construire un régime de protection sociale nouveau pour les auteurs privés de ressources en cas de perte d’activité. Un régime d’ « assurance-chômage » en quelque sorte, qui pourra, qui devra être créé par la loi. Soit une nouvelle brique à l’édifice d’un statut social bien incomplet, qui s’est construit pas à pas, vers la reconnaisance officielle de leur statut de travailleuses et de travailleurs.

Une proposition de loi est en cours d’écriture par un groupe de travail d’une dizaine d’auteurs de l’écrit, des arts plastiques, du spectacle…, syndicalistes ou militants politiques. Elle est actuellement soumise à la bonne vingtaine d’organisations syndicales et associatives d’auteurs qui ont bien voulu nous rejoindre. Quelles que soient les spécificités de leurs pratiques et les différences évidentes dans l’exercice de leurs métiers respectifs, ils exercent tous la même activité : créer des « œuvres de l’esprit » originales.

L’histoire du XXème siècle, la naissance et la mise en œuvre des politiques culturelles s’est accompagnée d’une reconnaissance partielle d’un nécessaire statut de l’artiste-auteur•e. Cette prise de conscience progresse à grands pas chez les auteurs eux-même et dans l’ensemble de la société. La crise pandémique, en révélant au grand jour la gravité de la précarité économique des artistes-auteur•es, a été un accélérateur.

Il nous a paru utile faire le point (en dix points…) sur cette question auprès du « réseau culture » des communistes, aux plus de 3 000 lecteurs et lectrices que vous êtes aujourd’hui.

1- Aucune œuvre, aucun livre, aucun film, aucun spectacle théâtral ou musical, aucune création visuelle ou plastique, aucun logiciel… ne verrait le jour, ne serait offert au partage d’un public sans la création initiale d’un•e auteur•e. L’auteur•e exerce une place décisive, sine qua non, dans la vie des arts et de la culture. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que l’auteur, qui jouit parfois d’un certain prestige dans la société, soit traité par l’économie de la culture comme simple « fournisseur » de « matière première » de la vie artistique et culturelle. L’auteur-travailleur exerce une profession. Profession d’un genre particulier, puisque désirée et choisie, elle implique de la part de celui qui l’adopte un investissement personnel, intime, affectif même, sans commune mesure avec le rapport au travail de l’immense majorité des autres travailleurs. Tous les artistes-auteurs ont un régime fiscal et social commun, pratiquent la même activité, qui est de créer des œuvres originales. C’est un socle très important. Et le fait que leur régime de protection sociale relève du Régime général de Sécurité sociale est un acquis fondamental qu’il faut préserver coûte que coûte !

2- La rémunération de l’auteur repose sur un principe ancien, hérité du XIXème siècle et de la naissance du droit d’auteur, droit moral reconnu par presque toutes les législations du monde non anglo-saxon [1]Le droit du copyright du monde anglo-saxon est très ambigu sur le droit moral, puisqu’en cas de conflit d’intérêt, c’est le droit du propriétaire qui l’emporte … Continue reading, qui fait de l’œuvre la propriété exclusive de l’auteur, source d’un droit patrimonial qui lui permet de tirer profit de son exploitation commerciale. L’auteur est, vis-à-vis du droit, considéré comme un « rentier », dont le « patrimoine » (l’œuvre) est susceptible de rapporter (ou non) un revenu. Mais en l’absence d’exploitation commerciale, le travail de l’auteur n’est jamais ou quasiment jamais rémunéré, même en cas de commande. L’éventuelle rémunération de l’auteur antérieure à l’exploitation de l’œuvre prend presque toujours la forme d’un « à valoir » sur les droits d’exploitation à venir, malgré quelques exceptions à cette règle, comme par exemple dans le design graphique, la traduction, le scénario… qui font l’objet d’une rémunération forfaitaire, nonobstant une éventuelle rémunération proportionnelle après exploitation. 

3- Au 1er janvier 2019, près de 300 000 artistes-auteur•es étaient identifié•es par les services de la Sécurité sociale. La crise sanitaire en cours a révélé, s’il en était besoin, la situation de grande précarité dans laquelle vivent la grande majorité d’entre eux. On estime que plus de la moitié d’entre eux gagnent pour leur activité professionnelle moins que le seuil de pauvreté. Il s’agit de sortir de là et avant tout de reconnaître leur qualité de travailleurs et travailleuses dès lors que le fruit de ce travail sort de la sphère privée et fait l’objet d’une rémunération, quelle que soit la forme de cette dernière.

4- Les écrivains pouvaient déjà bénéficier de certains droits du Régime Général de Sécurité sociale depuis la mise en service de la Caisse nationale des lettres en 1956. En 1964, André Malraux étant Ministre des affaires culturelles, les artistes-plasticiens ont pu aussi en bénéficier – retraite, maladie, maternité, à l’exception toutefois des accidents du travail et de l’assurance chômage – et ont acquis le droit de gérer eux-même leur « régime », par l’intermédiaire de l’association Maison des Artistes. Mais l’événement le plus notable est la loi du 31 décembre 1975 qui créé le régime de sécurité sociale des artistes-auteurs en unifiant l’écrit et les arts graphiques et plastiques, qui rend obligatoire l’affiliation au Régime Général, et qui ouvre un droit aux prestations familiales pour les artistes-auteurs dans les mêmes conditions que les salariés. Écrivains (romanciers, poètes, illustrateurs du livre, auteurs de BD), photographes, auteurs-compositeurs de musique, auteurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles… bénéficièrent des mêmes droits en 1978, date de création de l’Agessa, association créée notamment à l’initiative des organismes de gestion collective du droit d’auteur , les « sociétés d’auteurs ». 

5- L’unification de la gestion du régime des artistes-auteurs, par hypothèse par fusion des deux organismes, a été tentée en 2016, et après maintes péripéties a fini par aboutir, au moins sur le papier. Un retour critique sur cette séquence est nécessaire : il s’agit à l’évidence d’une « reprise en main » par les pouvoirs publics du dernier exemple d’un pan de la Sécurité sociale encore géré par ses usagers, par le biais d’un Conseil d’administration démocratiquement élu (cette remarque est valable au moins pour le cas de la Maison des Artistes). La puissance publique décidant alors d’en confier la gestion, depuis le 1er janvier 2019, à l’ACOSS directement, sans que les intéressés n’y soient plus associés. Cette régression démocratique s’est immédiatement traduite par une dégradation du service rendu aux intéressés, du fait de l’inexpérience des services concernés de la Sécurité sociale, désormais dépourvus d’interface avec les artistes•auteur•es. 

6- L’auteur-travailleur doit poursuivre sa lutte pour une reconnaissance élargie des droits conquis par les autres travailleurs, salariés pour l’essentiel : contrat de travail, négociations collectives, rémunération proportionnelle au temps de travail engagé, protection sociale… et obtenir à nouveau ce qu’il avait acquis au XXème siècle : la gestion démocratique de « sa » Sécurité sociale, ce qui était le cas pour l’ensemble des travailleurs, au moins des salariés jusqu’aux ordonnances Jeanneney de 1967, par lesquelles les élections à la Sécurité Sociale furent abolies au profit d’un « paritarisme » qui reste la règle aujourd’hui, mâtiné d’étatisme.

7- L’artiste-auteur doit bénéficier des mêmes droits que les travailleurs salariés. Il n’est pas réellement un « travailleur indépendant » puisque sa rémunération, consubstantielle au « marché », est tributaire du commanditaire, de l’acheteur, de l’éditeur ou du diffuseur. Il est de facto en situation de « dépendance économique » [2]Notion sans doute plus appropriée dans notre cas que celle de « subordination ». La CGT l’utilise pour faire requalifier les droits des livreurs et des chauffeurs uberisés. … Continue reading, même si cette dernière n’épouse pas les mêmes contours que la « subordination » des salariés. Est réputé artiste-auteur•e toute personne à l’origine d’une « œuvre de l’esprit » engendrant rémunération via un contrat d’édition, une vente directe, un contrat de reproduction, de présentation ou de représentation ou de présentation. Il doit, « au premier euro », s’acquitter de cotisations de Sécurité sociale (régime général). Les retraites complémentaires ne sont obligatoires qu’à partir de l’ancien seuil d’affiliation au régime (900 heures de SMIC). Depuis le 1er janvier 2019, il est réputé « affilié » [3]Auparavant on parlait d’ « assujettis » pour les AA n’ayant pas encore atteint le seuil de 900 heures de SMIC de revenu, seuil d’ « affiliation » … Continue reading dès sa première immatriculation à l’URSSAF, que depuis cette date il est tenu d’effectuer lui-même. Auparavant, il appartenait aux organismes en charge de la sécurité sociale des artistes, l’Agessa et la Maison des Artistes, d’y procéder ; si cette dernière a grosso modo correctement effectué ses missions, il n’en est pas de même de l’Agessa, dont le « scandale des retraites » récemment mis à jour a défrayé la chronique.

8- L’artiste-auteur se voit ouvrir des droits à partir de différents « paliers » :

  • les droits à l’assurance maladie sont ouverts dès le premier euro cotisé,
  • les droits à pension sont validés pour 4 trimestres à partir d’un revenu équivalent à 600 heures de SMIC,
  • enfin, les indemnités maladie et maternité/paternité, qui étaient acquises à partir du seuil de 900 heures de SMIC de revenus professionnels, le sont désormais à partir de 600 heures, suite à un amendement parlementaire lors du vote du PLFSS pour 2022.

Au 1er janvier 2019 seuls 45 000 auteurs soit moins de 20 % d’entre eux atteignaient ce seuil , de l’avis général beaucoup trop élevé, et laissant de côté la grande majorité des ayant-droit. C’est pourquoi il nous paraît légitime que ce seuil soit ramené à 300 heures, y compris pour l’accès au revenu de remplacement.

9- Parmi les droits sociaux conquis par les travailleurs salariés au cours du XXème siècle et que le statut inachevé des artistes-auteurs n’a pas permis de mettre en place jusqu’à présent, il y a en effet la mise en place d’un revenu de remplacement. À l’instar des artistes-interprètes et techniciens du spectacle en situation d’intermittence, les artistes-auteurs pourraient et devraient, lors des périodes où ils sont privés d’activités rémunérées, bénéficier d’un tel revenu. Le chômage des salariés est basé sur un système paritaire, où organisations de salariés et d’employeurs co-gèrent des cotisations, et passent périodiquement des conventions, ratifiées par la puissance publique. Cela n’ira pas sans difficultés ! La première d’entre elles étant l’absence d’ « employeur » pour les artistes-auteurs ; les « diffuseurs » (éditeurs, producteurs de spectacle vivant ou audiovisuel, marchands d’art…) ayant toujours refusé d’exercer si peu que ce soit cette responsabilité. 

10- L’objectif final est évidemment un véritable rattachement, complet, au Régime Général, maladie, retraite, accidents du travail, formation professionnelle, chômage. Le plus gros du chemin est fait en matière de maladie et retraite. Les artistes-auteur•es bénéficient en effet déjà de droits salariaux (régime général de Sécurité sociale et retraites complémentaires), et la nature de leurs revenus ne pose aucun problème pour le calcul de la pension de retraite, par exemple. Le régime convertit leurs revenus en heures de SMIC, ce qui est en soi une façon (certes imparfaite) de se rapprocher du mode de calcul des salariés. Ce dispositif devra être financé. Faudra-t-il laisser la charge du financement aux seuls artistes-auteurs, même à un taux symbolique, ou faudra-t-il faire passer à la caisse les « diffuseurs », qui on le sait ont toujours manifesté beaucoup de réticence à jouer leur rôle d’ « employeur » ? Verrons-nous revenir des arguments de même nature que ceux qu’ont dû affonter les intermittents – les « abus », le « déficit »… ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, il faudra parvenir à un accord avec les « diffuseurs » sur un taux de cotisation raisonnable. 

Quant aux conditions d’accès, objection parfois invoquée par ceux qui considèrent qu’elles seraient très difficiles à déterminer, elles peuvent et doivent l’être de façon simple et lisibles. Par exemple l’artiste-auteur•e dépourvu de revenus récents ou de commandes à court terme peut très bien, le jour où sa situation devient invivable et qu’il est dépourvu de ressources, se déclarer « au chômage », et demander à bénéficier d’indemnités qui pourraient être aisément calculées sur la base des revenus constatés au cours des douze derniers mois par exemple, comme pour les salarié•es relevant des annexes 8 & 10 de l’UNEDIC. Quant au mode de calcul des indemnités, autre difficulté parfois soulevée, les artistes-auteurs bénéficient déjà de droits salariaux (Sécurité sociale, retraites complémentaires, droit à la formation), et la nature de leurs revenus ne pose aucun problème pour le calcul de la pension de retraite, par exemple. 

Quoi qu’il en soit, ce dispositif que nous voyons inscrit dans le Régime général à l’exclusion de toute idée de « caisse autonome », devra être inscrit dans la solidarité interprofessionnelle. Il faudra parvenir à un accord avec les diffuseurs sur un taux de cotisations et déboucher sur un régime d’indemnités qui pourraient être aisément calculées sur la base des revenus constatés au cours des douze derniers mois par exemple, comme pour les intermittents. 

Notons au passage que les artistes-plasticiens, par le biais de la Sécurité sociale gérée par la Maison des Artistes, bénéficient d’une expérience de gestion démocratique qui a bien failli être étendue à l’ensemble des artistes-auteurs, si le gouvernement n’avait interdit toute élection et par là même bloqué toute reconstitution d’un organisme dédié. Il est légitime de se demander s’il ne faudrait pas, dans un même mouvement, restaurer cet organisme démocratique « attentionné », dédié cette fois à l’ensemble des artistes-auteurs, et de procéder à l’élection de ses administrateurs au suffrage universel de ses ayant-droit. 

Dans l’hypothèse où l’on parviendrait à restaurer un tel organisme, il est légitime de s’interroger sur la possibilité de lui confier de surcroît la mise en place et la gestion du futur revenu de remplacement, en concertation avec l’Unedic à l’instar de la MdA et de l’Agessa, interfaces avec le Régime général. 

Cette initiative législative n’a de chance d’aboutir que si elle est largement popularisée, débattue et soutenue par les organisations professionnelles représentatives (syndicats et associations), qui sont nombreuses et diverses. Une première rencontre réunissant une bonne vingtaine d’entre elles a eu lieu, à notre initiative, le 13 décembre 2021 afin de recueillir leur appréciation du projet et de les associer à la formulation de cette proposition de loi. Un avant-projet leur a été soumis. Une prochaine réunion est en cours de préparation, d’ici la fin de ce mois de janvier.

À suivre.

References

References
1 Le droit du copyright du monde anglo-saxon est très ambigu sur le droit moral, puisqu’en cas de conflit d’intérêt, c’est le droit du propriétaire qui l’emporte en général, avec des nuances entre le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis. Cette question complexe dépasse évidemment le cadre de ce court article..
2 Notion sans doute plus appropriée dans notre cas que celle de « subordination ». La CGT l’utilise pour faire requalifier les droits des livreurs et des chauffeurs uberisés. D’expérience, nous savons que les artistes-auteur•es sont prêt•es à reconnaître leur dépendance économique à l’égard des diffuseurs dès lors qu’il s’agit d’y remédier, mais hostiles à l’idée qu’une subordination soit actée ou même utilisée pour construire de nouveaux droits. [merci à Aurélien Catin pour cette remarque judicieuse]
3 Auparavant on parlait d’ « assujettis » pour les AA n’ayant pas encore atteint le seuil de 900 heures de SMIC de revenu, seuil d’ « affiliation » à la Sécurité sociale. Aujourd’hui, les AA sont « affiliés » dès le premier euro.