Une très violente attaque contre les libertés académiques vient d’être perpétrée par… la ministre censée les défendre, Frédérique Vidal ancienne Présidente de l’Université de Nice et actuelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Voilà que nos Universités seraient d’après elle et quelques autres, le foyer de développement d’une idéologie criminelle que l’on dénomme l’islamo-gauchisme.
De quoi s’agit-il et qui est visé ? Avant de tenter de répondre à cette question il faut dire clairement que l’islamo-gauchisme n’est en aucune manière un concept scientifique et ne recouvre strictement aucune réalité dans le champ de la connaissance. Unanimement les Universités, le CNRS, l’ensemble des acteurs de la recherche scientifique viennent de l’affirmer avec force.
Alors de quoi s’agit-il ? Ce terme en fait est un slogan inventé par les milieux politiques et idéologiques de la droite extrême et de l’extrême droite destiné à délégitimer et à intimer l’ordre de se taire à tous ceux qui refusent l’hystérie sécuritaire et les violences policières, la haine et les discriminations racistes et xénophobes, les atteintes aux libertés et la mise en cause de l’Etat de droit, sous couvert de lutte contre le terrorisme islamiste qui lui-même, on oublie trop souvent de le dire, est une des formes du néofascisme contemporain. Et voilà que désormais une part importante de la droite ainsi que plusieurs membres du gouvernement et non des moindres, G. Darmanin, J.M. Blanquer, M. Schiappa et donc F. Vidal, (excusez du peu !), se font le relais de cette véritable chasse aux sorcières.
Qui est visé par ce néo-maccarthysme ? Les sciences sociales qui ont l’outrecuidance de faire leur métier en essayant de comprendre les formes actuelles de domination et d’exploitation des êtres humains. Mécanismes complexes parce que ces recherches mettent en lumière les rapports de domination dans toutes leurs dimensions en articulant les dominations de classes, de genre, de « race » et « d’ethnie ». Ici c’est l’ordre social qui est dévoilé et surtout les inégalités, et non les identités, qui sont mis en cause par ces travaux novateurs. Ils ne contredisent en rien notre esprit universaliste, laïc et humaniste, ils en montrent les formes contemporaines. Il est en effet grand temps de cesser d’opposer l’universalité de nos valeurs communes, liberté, égalité, fraternité-sororité à la diversité des appartenances culturelles qui forment l’actuelle mondialité.
Ce qui est proprement inacceptable pour le système dominant tient au fait que ces recherches accusent l’ordre établi et c’est cela que l’on tente par tous les moyens d’interdire à l’Université et ailleurs. Pour le pouvoir c’est aussi un moyen d’occuper le terrain lepéniste dans la perspective de la présidentielle. Le débat Le Pen/Darmanin a bien montré les convergences libérales et nationalistes, liberticides et xénophobe ainsi que la volonté de réserver le débat public à ces idéologies siamoises.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car la réaction unanime du monde universitaire, la condamnation très large dans le pays montre que F. Vidal a fait un pas de trop. Il doit nous faire réfléchir à une chose simple : emprunter le discours de l’extrême droite ne la fait pas reculer, au contraire, elle lui ouvre la voie sur le plan politique.
Alain Hayot
Article publié dans le n°8 de Zibeline, magazine culturel du sud-est