Cet article a été publié dans le journal L’Humanité vendredi 9 avril 2021.
Partout dans le pays, des théâtres sont occupés. Est-ce, pour les artistes, une façon de « piétiner leur outil de travail », ainsi que le déclarait la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, quelques jours après avoir jugé ces mouvements « inutiles et dangereux » ? C’est plutôt une manière de les maintenir en vie, une façon de remettre le courant, en tout cas la décision de rallumer les projecteurs.
Madame la ministre est également « navrée » par les césars, notamment par leur « côté meeting politique ». Mais les enjeux de la culture posent des questions politiques. Et le gouvernement aurait sans doute préféré une cérémonie faite de révérences, de remerciements et de résignation, où les acteurs et actrices du monde culturel seraient restés sagement à leur place assignée, celle de biens de consommation et de divertissement. De trucs en plus.
Mais de multiples voix ont exprimé la colère, la revendication, le désir émancipateur. De la patience, il y en a eu. Des semaines et des mois d’attente, d’incertitude, de frustrations, d’invisibilité. Comment peut-on reprocher au monde de la culture et de la création de vouloir se faire entendre et se faire voir ? Comment, après avoir classé délibérément la culture sur l’étagère des denrées non essentielles pendant si longtemps, peut-on être étonné que s’exprime une résistance ? Comment peut-on, quand on est ministre de la Culture, afficher autant de mépris pour la parole des artisans du secteur, au lieu de les écouter et de s’appuyer sur leur force et leur créativité pour redonner force à l’art et aux pratiques culturelles ? La fonction de Roselyne Bachelot n’est-elle donc que de mettre le couvercle sur la marmite, de tirer le rideau, de couper le son ? Ne devrait-elle pas plutôt les défendre et les soutenir face à la violence des attaques, comme les attaques sexistes dont a été victime Corinne Masiero pour avoir dit avec éclat la violence insupportable de cette situation ? Une violence faite aux travailleuses et aux travailleurs de la culture, mais d’abord à toute la société.
Avant même la survenue du virus, notre pays était déjà maltraité et empêché, mais en résistance dans bien des domaines. Dans cette épreuve, comment imaginer se projeter vers l’avenir sans que se pratique la culture. Non pas qu’elle se consomme, mais qu’elle se pratique. Car, ce qui est à l’arrêt, ce n’est pas simplement l’accès aux œuvres, c’est la pratique elle-même, à quelle place que ce soit, de se rencontrer autour d’un geste ou d’une parole qui transforme. Un peuple qui ne se regarde plus, ne se retrouve plus, ne rêve plus, ne chante plus, ne danse plus, est un peuple qui dépérit. Même si nous savons devoir adapter la pratique aux contraintes sanitaires du moment.
Maintenir ce régime culturel du vide et du néant, c’est assumer le choix délibéré d’une société sans horizon, celui d’un pouvoir politique fondé sur l’obéissance passive.
Il est temps d’entendre les voix qui se lèvent.
Pierre Dharréville [1] Délégué national à la culture du Pcf, Député des Bouches du Rhône
References
↑1 | Délégué national à la culture du Pcf, Député des Bouches du Rhône |
---|