« L’Audiovisuel public coûte trop cher, il faut en réduire la voilure ». Comme pour d’autres secteurs publics, c’est, en gros, la seule philosophie d’Emmanuel Macron concernant télévisions et radios publiques. Macron n’aime pas le service public. Il n’aime pas l’idée qu’il puisse avoir la moindre velléité d’indépendance éditoriale. Son tropisme lui fera toujours préférer des médias appartenant à ses amis milliardaires pour relayer sa vision des choses.
Tout était annoncé dès la campagne électorale du candidat. Alors que la télévision publique était déjà structurellement sous financée Macron annonce la couleur: « Il faut concentrer les moyens sur des chaînes moins nombreuses ». Il s’inspire du rapport Schwartz (ex-directeur financier de France Télévisions), qui, dès 2015, proposait la suppression des chaînes France Ô et France 4, des regroupements de moyens entre Francetv, Radio France et France Média Monde.
Dès le début du quinquennat, une nouvelle loi sur l’audiovisuel est annoncée et le Plan d’Action Publique 2022 est mis en place. Sa déclinaison pour l’Audiovisuel public prévoit une baisse de la ressource, de fortes économies et des suppressions d’emplois. France tv doit par exemple faire environ 400 Millions d’€ d’économies en tout et supprimer 900 emplois… A l’arrivée, ses effectifs auront baissé de 20 % depuis 2012!
Vers une télévision low cost
La loi de refonte de l’audiovisuel qui prévoyait une holding unique a été ajournée en raison de la crise du Covid mais la trajectoire des économies est toujours là. France Ô a bien été supprimée, et France 4 bien que suivie quotidiennement par un million d’enfants pourrait l’être cet été. Les rédactions nationales de France 2 et de France 3 ont été fusionnées, le Soir 3 supprimé. Comme il s’agit de « faire plus avec moins » les directions de France 3 et de France Bleue ont développé en commun des émissions matinales de radio filmées. Dans une même démarche volontariste, les éditions régionales de France 3 se sont allongées. Depuis le mois de janvier, elles débutent désormais à 18H30, sans moyen supplémentaire. A l’exemple de ce qui se passe aussi dans les Outremers, l’idée est d’aboutir à des chaînes régionales de plein exercice low cost en faisant fonctionner les synergies maximales entre radio, télévision et sites numériques. Résultat, les personnels – déjà épuisés par les contraintes liées au Covid – sont accablés. Il y déjà eu plusieurs mouvements de grève contre cette recherche interminable de productivité .
Ernotte : deux mandats… pour quoi faire?
Delphine Ernotte devrait avoir le mandat le plus long de l’histoire de la télévision publique… Mais son bilan risque d’être contrasté. Lors de son premier mandat de 2015 à 2020, la PDG de France tv a strictement respecté la recherche d’économies déjà exigée par le gouvernement Hollande. Dans le même temps, elle a aussi lancé avec Radio France la chaîne d’information en continu France Info et oeuvré pour le redémarrage d’une industrie des programmes. Grâce à l’assouplissement des décrets Tasca (on est passé de 5 % d’autorisation de fabrication en interne à 17,5 %) elle a lancé le feuilleton « Un si grand soleil » dont l’entreprise possède tous les droits et qui est produit à Montpellier. Mais on est loin du compte pour pérenniser l’audiovisuel public et garantir son avenir. Pour son deuxième mandat (2020-2025) D. Ernotte semble surtout partie pour ne pas contrarier Bercy… Et Jupiter ! On peut être certain que des économies encore plus fortes seront réalisées. Mais quid des contenus et des garanties pour une information de qualité et pluraliste? Le récent « débat » entre les idées d’extrême droite de Darmanin et celles de Le Pen a de quoi inquiéter s’il est annonciateur de la manière dont seront traitées les prochaines présidentielles.
Et, au niveau des programmes, quels seront les développements et les capacités de production? Avec la baisse des moyens et les contraintes règlementaires encore fortes, comment rivaliser avec les grandes plateformes numériques américaines type Netflix, grandes pourvoyeuses de séries et de fictions ? Même l’alliance avec d’autres télévisions publiques européennes est difficile faute de catalogue digne de ce nom.
France tv vient par exemple de lancer « Culture box » sur le canal 19 (celui qu’occupait France Ô). Mais, comme annoncé, il s’agit d’une chaîne culturelle « éphémère », principalement avec des rediffusions et sans moyens propres. Une opération de pure communication pour montrer que le gouvernement se préoccupe de la souffrance du spectacle vivant pendant le confinement.
Dans le même temps tout continue d’aller très bien pour les producteurs privés de divertissements. C’est toujours l’omerta qui règne sur leurs bénéfices scandaleux grâce à de l’argent public. Malgré la crise et des budgets en baisse, il a fallu qu’une députée LREM s’en mêle pour apprendre que le contrat stupéfiant de 100 millions d’euros qui a lié l’animateur Nagui à France 2 pour trois ans n’avait ni clause d’audience, ni d’obligation d’audit…
France Télévisions vient de lancer une étude interne pour savoir ce que les salariés attendaient de leur entreprise comme « raison d’être ». Louable entreprise. A élargir à l’ensemble des citoyens et des téléspectateurs puisque France tv leur appartient. La télévision publique remplit un rôle essentiel de présence sur le territoire, d’accès à l’information et à la culture. Elle produit encore des programmes, des documentaires et des émissions de qualité qui ne trouveraient pas leur place ailleurs (comme Cash investigation). D’où, malgré ses défauts, la nécessité de défendre et de développer ce bien commun affaibli par une crise sans fin.
Fernando Malverde